C’est quoi, un référentiel de compétence ?
Avant même de parler de référentiel, posons la question qui fâche : qu’est-ce qu’une compétence ? Depuis plusieurs décennies, chercheurs et praticiens tentent de définir cette notion. Les publications académiques abondent, mais aucune définition ne fait l’unanimité.
Une définition insaisissable de la compétence
Entre querelles théoriques et effets de mode
Pour les définitions courantes, les compétences sont des combinaisons de connaissances, de savoir-faire, de comportements et de valeurs. Elles permettent d’être performant dans son emploi, et que l’on peut acquérir par la pratique, l’apprentissage, la formation et le coaching.
D’autres, plus pointilleuses, s’aventurent dans les arcanes conceptuels. Comme celle de Jacques Tardif, où une aptitude devient une compétence si elle cumule ces 5 facteurs :
- Intégratrice : elle puise dans une multitude de ressources internes et externes.
- Combinatoire : elle s’exerce en combinant les ressources selon le contexte.
- Développementale : elle n’est jamais vraiment achevée, elle grandit toute la vie.
- Contextuelle : elle change selon la situation.
- Évolutive : elle s’enrichit de nouvelles ressources et expériences sans se trahir.
Je fais depuis longtemps un constat : celui d’un décalage important entre des enjeux forts et une notion faible. Les entreprises ont des enjeux forts sur les compétences : monter des dispositifs de gestion anticipée des compétences, développer le capital des compétences, valider les compétences acquises en situation de travail, réviser des systèmes de classification pour les fonder sur une évaluation des compétences, rémunérer les compétences, maintenir le capital des compétences critiques… Mais beaucoup d’entre elles utilisent pour cela une notion faible celle qui est apparue dans les années 1960, à savoir : « une somme de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être [...] La question de savoir si l’intérêt porté aux compétences se réduit ou non à une affaire de mode est une question importante pour les entreprises. Elle revient à se demander s’il convient ou non d’investir du temps et de l’argent dans des dispositifs de gestion des compétences. Il faut parfois fournir un effort intense durant 3 à 5 ans pour atteindre un régime de croisière pour fonctionner selon une « logique compétences.
Guy Le Boterf, Construire les compétences individuelles et collectives
Le dernier engouement autour des soft skills illustre parfaitement ce phénomène. Souvent présentées post covid comme supérieures aux compétences techniques, elles sont aujourd’hui reconsidérées comme complémentaires, mais non substitutives. Ces fluctuations montrent à quel point certaines approches managériales suivent des tendances plutôt qu’une logique durable.
Revenir aux fondamentaux : l’entreprise
Face à cette effervescence conceptuelle, l’entreprise rappelle une réalité bien plus terre-à-terre : il faut des outils concrets pour faire tourner l’activité. Le rôle du RH, en particulier en tant que Business Partner, est d’ancrer la gestion des compétences dans la stratégie business.
Une entreprise est d’abord une organisation économique, inscrite dans un contexte : un secteur d’activité, des produits ou services, une concurrence, un positionnement, des avantages stratégiques. Sa pérennité dépend de sa capacité à anticiper ce contexte et à aligner ses ressources internes.
La chaîne logique est claire :
Une stratégie → qui se décline en livrables → portés par des métiers → eux-mêmes définis par des missions → nécessitant des compétences précises.
Une définition opérationnelle de la compétence
Ainsi, on peut avancer une formule pragmatique :
une compétence est la capacité à exécuter une mission métier, dans un contexte donné, de manière à contribuer directement aux enjeux stratégiques de l’entreprise.
Moins poétique mais diablement plus utile pour travailler, cette approche replace la compétence non pas comme une abstraction académique, mais comme une ressource clé, contextualisée et actionnable.
À quoi ressemble un référentiel de compétences
Un référentiel de compétences est avant tout un document qui rassemble, formalise et structure. Son premier atout ? Uniformiser le langage. Quand tout le monde parle avec le même vocabulaire — managers, RH, opérationnels, dirigeants — la compréhension des métiers devient claire et partagée.
Un cadre commun… mais jamais générique
Pour chaque métier, on identifie un ensemble de compétences propres à la manière dont il s’exerce dans votre contexte. Les référentiels « sur étagère » disponibles sur Internet (ROME, ESCO…) offrent un point de départ. Après tout, “un métier est un métier”. Mais, ils montrent vite leurs limites : trop génériques, trop éloignés de la réalité opérationnelle, incapables de traduire ce qui fait votre singularité.
Deux métiers portant le même titre peuvent couvrir des quotidiens totalement différents selon le secteur, le niveau de maturité de l’entreprise, son positionnement marché ou son organisation interne. C’est à peu près à ce moment-là qu’on comprend que le générique convient surtout à ceux qui n’ont pas d’avantage concurrentiel à revendiquer.
Le début : un tableur peut suffire… jusqu’à un certain point
Pour une entreprise disposant de quelques métiers, un référentiel simple peut encore se structurer dans un Excel ou un Google Sheets :
- une feuille centralisant l’ensemble des compétences ;
- une feuille par métier appelant les compétences pertinentes.
Puis apparaissent les premières connexions. Car en élaborant le référentiel, on met au jour des aires de compétences communes, des proximités inattendues entre métiers, des passerelles potentielles. Une même compétence peut être mobilisée dans plusieurs métiers, mais à des niveaux d’exigence différents.
Il faut alors définir pour chaque compétence une échelle de niveaux, accompagnée de descriptions précises et tangibles. C’est ici que tout se joue. Les formulations génériques comme “peut former d’autres salariés” ou “maîtrise correcte” entretiennent un flou dangereux. Le risque, c’est que chacun réinvente la définition de “maîtrise” à chaque entretien. À l’inverse, des critères factuels permettent aux salariés et aux managers de se situer sans interprétation. Exemple :
- niveau 2 en Excel : “Sait construire un tableau croisé dynamique”, c’est sans équivoque, factuel et vérifiable.
- niveau 2 en Excel : “Autonome sur l’outil”, c’est subjectif et peu opérationnel.
Un modèle à télécharger
Vous ne savez par quoi commencer pour votre référentiel ? RECRAFT vous propose un modèle de référentiel de compétences sur Google Sheets à personnaliser.
Le résultat : un système vivant et interconnecté
Un bon référentiel ressemble donc à des listings interconnectés, composé de trois répertoires complémentaires :
- Toutes les compétences de l’entreprise, chacune décrite et déclinée sur une échelle de maîtrise.
- Toutes les fiches métiers, associées à leurs compétences et à un niveau attendu.
- Les passerelles de compétences, qui dévoilent les proximités entre métiers et soutiennent les mobilités internes.
À ce stade, Excel commence à protester. Ce n’est pas qu’il n’a pas le cœur à l’ouvrage, mais il n’est pas conçu pour modéliser des relations complexes, ni pour en faire une restitution visuelle. Il s’avère même totalement insuffisant pour passer à l’étape suivante : cartographier les compétences réelles des salariés, souvent plus riches que celles mobilisées dans leur poste actuel, et les interconnecter avec le référentiel précédent. L’entreprise doit alors basculer vers un système dynamique comme un logiciel de GEPP.
Cartographier les compétences, pourquoi faire ?
Honnêtement, c’est difficile à mettre en place
Autant être franc : construire un référentiel de compétences n’est pas simple. Nous avons déjà évoqué la contrainte des outils, ces tableurs bien intentionnés mais notoirement inadaptés dès qu’il s’agit d’orchestrer la complexité de vos métiers. Ce n’est pourtant là qu’une partie « logistique », qui, avec un logiciel adapté, se résout finalement assez bien.
Embarquer tous les acteurs dans le projet
Pour élaborer un référentiel fidèle à la réalité du terrain, il faut… connaître le terrain. Et, malheureusement pour les RH, aucune option « omniscience » n’est encore disponible dans les logiciels, bien que l’IA aide à faire un premier jet très utile. Il faut donc solliciter les managers, les experts, les opérationnels. Ceux qui savent.
Et il faut les mobiliser sans les sursolliciter, sans donner l’impression qu’on leur demande un service philanthropique, et surtout en leur montrant qu’un référentiel n’est pas un “machin RH” tombé du ciel. Il faut leur démontrer que c’est un outil qui, bien conçu, simplifie réellement leur quotidien. Cela implique un savant mélange : un peu d’évangélisation, une dose de pédagogie, et beaucoup de diplomatie.
Des métiers et un contexte qui évoluent en continu
Autre subtilité : les métiers évoluent. Anticiper les besoins futurs de l’entreprise demande deux choses rarement réunies dans la même semaine :
- que l’équipe RH soit intégrée dans les décisions stratégiques pour connaître l’activité de demain, et in fine, les métiers et les missions nécessaires ;
- qu’elle dispose d’assez de recul pour analyser les évolutions métier en interne, mais aussi chez les concurrents.
Sans mise à jour régulière, un référentiel décroche de la réalité de l’entreprise. À chaque évolution d’un métier, d’une technologie, d’un standard professionnel, il faut ajuster. Idem côté collaborateurs : arrivées, départs, promotions, changements de périmètre… La revue des talents doit être menée régulièrement pour savoir où se situe réellement le capital de compétences de l’entreprise à un instant T.
Alors pourquoi s’infliger tout cela ? Et c’est précisément pour cela que l’on s’y met : c’est stratégique parce que c’est exigeant, nécessaire, et que sans cette cartographie, l’entreprise pilote ses talents à vue.
Pourquoi cela en vaut largement la peine
Un référentiel de compétences bien construit n’est pas un document RH dormant. C’est un outil de pilotage qui doit avoir un impact sur le quotidien et s’avère aussi utile à l’entreprise qu’aux salariés. Comme le rappelle Guy Le Boterf avec son sens du réalisme :
Il ne suffit pas en effet d’élaborer des référentiels de compétences mais de modifier en conséquence les pratiques d’évaluation et de validation des compétences, d’entretiens annuels, de rémunération, d’organisation du travail, de management. Il ne s’agit donc pas d’une question purement théorique, limitée à l’agitation de cercles d’experts, mais d’une question pratique de chef d’entreprise ou de responsable d’une organisation.
Guy Le Boterf, Construire les compétences individuelles et collectives
Aligner le collectif sur un code commun
Un référentiel de compétences joue le rôle de langage commun. Il traduit la stratégie de l’entreprise en comportements observables et en attentes explicites. Cela évite que chacun se lance dans une course effrénée… mais dans des directions opposées. Un cadre partagé réduit les malentendus. Bref : on coopère mieux quand on parle la même langue.
Découvrir des compétences que personne n’avait perçues
Les collaborateurs développent des compétences tout au long de leur parcours, parfois en dehors du périmètre strict de leur poste : projets transverses, engagements personnels, expériences précédentes, apprentissages informels…
Le référentiel permet au salarié de se positionner et d’identifier ses compétences, même si non sollicitées par son poste actuel. À vous de dire ensuite : “Nous n’avions pas vu cette compétence. Heureusement, vous l’avez amenée avec vous.” La mobilité interne repose souvent sur ces petites surprises bienvenues.
Garantir la continuité opérationnelle
Le rôle des RH est de s’assurer que l’entreprise possède les compétences qui font tourner la machine et celles qui lui éviteront d’être dépassée demain matin. Il faut identifier les compétences cœur, celles dont la disparition ferait vaciller tout l’édifice.
Certaines sont rares, menacées, ou sur le départ (littéralement, dans le cas des départs à la retraite). Un référentiel aide à :
- s’assurer que toutes les compétences au niveau attendu soient couvertes et si les membres d’une équipe sont complémentaires ;
- anticiper les ruptures de production quand un salarié étant seul à avoir une compétence clé est en arrêt ;
- construire des plans de succession ;
- assurer la transmission de savoir ;
- éviter que la connaissance critique parte discrètement avec un badge d’accès désactivé.
Le référentiel de compétences est en somme le codex qui répond à la question : « Avons-nous, ici et maintenant, les compétences cœur qui garantissent notre survie opérationnelle ? »
Manager les compétences et les parcours
Lorsqu’un référentiel de compétences existe enfin, les entretiens annuels cessent d’être ce grand oral improvisé pour s’appuyer sur de vrais attendus. Les évaluations deviennent un peu moins affaire d’intuition géniale et un peu plus de faits tangibles ; les objectifs individuels s’alignent sur le développement des compétences qui comptent vraiment.
Cela donne un cadre clair à la fois pour le manager et pour le salarié : chacun sait dès le départ quel sera le centre de la discussion, et la rencontre gagne en efficacité, en transparence et en légitimité.
Cela tombe bien puisque la loi encadre les entretiens de parcours professionnels et que leur contenu doit principalement se baser “les compétences du salarié et aux qualifications mobilisées dans son emploi actuel ainsi qu’à leur évolution possible au regard des transformations de l’entreprise”.
Cette interview de Franck Goupille, DRH expérimenté sur le sujet, dans le podcast de Yaniro, est d’ailleurs une mine d’information sur l’employabilité :
Créer un avantage concurrentiel
L’avantage compétitif ne vient pas des talents eux-mêmes : tous vos concurrents chassent les mêmes. Il vient de ce que l’organisation de votre entreprise parvient à faire de ses talents, une fois en poste.
Le référentiel cartographie les compétences essentielles, détecte les experts, permet d’organiser la complémentarité, de créer des binômes, des communautés métier, des groupes de réflexion. Bref, il transforme des individus performants en une équipe performante.
Et une équipe bien organisée bat presque toujours la star isolée.
Arbitrer et sécuriser les mobilités internes
Quand un poste s’ouvre, le référentiel devient instantanément votre boussole : il indique si la compétence est déjà présente en interne, ou si quelqu’un pourrait la développer pour occuper le rôle. Il permet aussi de jauger l’impact sur l’équipe existante : est-ce que ce mouvement risque de déséquilibrer l’ensemble ? Si la compétence reste introuvable en interne, l’option recrutement externe est à envisager.
Mais le référentiel ne se contente pas de pointer les manques : il trace la route. L’écart entre le profil actuel et les attentes du poste devient un plan d’action concret (formation, mentoring, expérimentation) pour sécuriser le changement.
Et, cerise sur le gâteau, il révèle les passerelles entre métiers : zones de compétences communes qui ouvrent la voie à des mobilités internes enrichissantes, rafraîchissantes, et bénéfiques à la fois pour les salariés et pour l’entreprise.
Objectiver les recrutements
Avec un référentiel, le recrutement retrouve un peu d’objectivité. Les fiches de poste détaillent les compétences attendues, les offres sont précises et ciblées, les entretiens s’appuient sur des critères observables, l’évaluation devient plus juste et les tests sont alignés sur ce qui compte vraiment. Le ressenti laisse place à une approche structurée, où le talent se mesure et se comprend.
L’onboarding gagne en efficacité : les compétences à acquérir à 3 ou 6 mois sont clairement identifiées, le tutorat est ajusté en conséquence et l’évolution suivie de près. L’intégration “à vue” cède la place à un programme sur mesure.
Préparer l’avenir
Préparer l’avenir commence par comprendre le contexte dans lequel l’entreprise évolue. La mission des RH dépasse la simple gestion des postes : il s’agit de fournir les talents nécessaires, d’installer un cadre managérial solide et d’organiser les compétences de manière à soutenir les performances business. Lorsqu’un nouveau marché géographique s’ouvre ou qu’une ligne de produits se lance, anticiper les besoins futurs en compétences devient indispensable. Cela implique de planifier simultanément les mobilités internes et les recrutements externes, tout en préservant l’équilibre des équipes existantes.
La passation des postes stratégiques illustre parfaitement ce défi : quels pourcentages de ces postes ont déjà des successeurs identifiés ? Les cadres dirigeants proches de la retraite doivent voir leurs compétences clés transférées à des collaborateurs à potentiel, accompagnés par des plans de développement individuels et des mobilités pilotées.
Dans ce processus, la mise à jour du référentiel devient aussi l’occasion de se poser la question essentielle : l’entreprise dispose-t-elle d’un vivier de leaders en devenir capable de soutenir ses évolutions futures ?
Accompagner les transformations sans casse inutile
Un référentiel solide donne du cadre lors des changements difficiles, mais malheureusement obligatoires : lors des périodes de restructuration.
Dans ce contexte, l’outplacement ne se limite pas à vider des bureaux. Il s’agit de se séparer des postes, pas les personnes, de préserver les compétences cœur et de garantir la continuité opérationnelle. Le référentiel permet d’anticiper et de préparer de nouvelles trajectoires internes : identifier les talents, adapter leurs compétences à d’autres missions, créer des passerelles et ouvrir des opportunités là où, a priori, il n’y avait que des impasses.
En d’autres termes, il transforme une restructuration, souvent perçue comme un passage obligé douloureux, en un exercice stratégique : on ménage le capital humain, on sécurise les savoir-faire critiques.
Pour aller plus loin
- Notre article de conseils pour passer à la mise en pratique : « Créer un référentiel de compétences, tout ce qu’il faut savoir avant de commencer ».
- Le livre « Victory through organization » de Dave Ulrich, sur le rôle des RH dans la structuration de l’entreprise et leur dimension Business partner (résumé ici).
- Le livre « Construire les compétences collectives : coopérer efficacement dans les entreprises, les organisations et les réseaux professionnels » de Guy Le Boterf.
- Notre modèle Google Sheets à télécharger pour amorcer votre référentiel de compétences.
Votre référentiel est complexe ?
RECRAFT dispose de toutes les fonctionnalités (dont l’IA) pour mener à bien un projet de gestion des compétences abouti et utile à toute l’entreprise.