Génération Y, génération Z… Et si nous nous étions trompés de lettre ?
Les librairies regorgent de manuels sur ces spécimens mystérieux que sont les salariés Y et Z, les générations précédentes semblant décidément ne rien y comprendre.
Une génération ne se limite pas à une date de naissance sur une carte d’identité. C’est une construction, un millefeuille d’influences et d’événements marquants. Ils construisent les salariés en devenir avant même leur premier jour de stage café-photocopies. Au lieu d’essayer de comprendre leur état d’esprit à travers le prisme de l’instant présent, remontons le fil pour voir ce qui les a vraiment façonnés ! Parce qu’au fond, il y a peut-être plus à décrypter qu’une simple aversion pour le management à l’ancienne.
Retour dans les années 2000
À l’époque, personne ne parlait encore de full remote, de quiet quitting ou de boreout. Non, le mot hype du moment, dans les discours politiques et économiques sur le travail, c’était flexisécurité. Un concept qui, visuellement, évoque plus un bâtiment administratif des années 60 qu’un open space au design scandinave.
En 2007, la Commission européenne planchait sur un projet aux accents prometteurs : « Principes communs de flexicurité : des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité. » Je pense ne spoiler personne en rappelant que, l’année suivante, l’économie vivait une crise financière, remettant aux oubliettes les velléités d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité…
Et 2008, c’est justement l’entrée sur le marché du travail des… personnes nées aux environs de 1988. C’est quoi déjà, la définition de génération Y ?
La génération Y, aussi appelée les milléniaux, ou les millénariaux (millenials, en anglais), regroupe les personnes nées entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990.
Wikipedia
Incroyable coïncidence !
Force est de constater qu’avec ou sans la crise de 2008, la “flexisécurisation” du marché du travail était déjà en marche et que les générations à venir devaient de facto devenir flexibles. D’ailleurs, dès 2006, les jeunes avaient senti le vent tourner. Souvenez-vous du Contrat Première Embauche (CPE) : un CDI pour les moins de 26 ans avec une période d’essai de… deux ans, durant lesquels un employeur pouvait licencier sans justification. Les lycéens s’étaient massivement mobilisés, déclenchant des grèves et des manifestations monstres. Ces lycéens ? La future génération Y, encore.
En 2015, Emmanuelle Duez confiait en avoir marre du sujet de la génération Y. On pensait alors que cela passerait naturellement avec le temps. Sauf qu’on n’avait pas vu venir la suite : la génération Z, prête à prendre sa propre rafale d’analyses, de stéréotypes et d’exégèses managériales. Dix ans plus tard : c’est le statu quo.
On nous dit que la génération Y.Z est celle des enfants du numérique. C’est vrai. Elle a aussi compris, en posant un pied dans le monde professionnel, qu’elle ne pourrait pas compter sur la stabilité dont ont bénéficié leurs parents à leur âge. Bienvenue à la génération F ! F pour flexisécurité.
L’idée ici n’est pas de faire un post-mortem et de compter les points pour déterminer qui avait raison. Ceci dit, force est de constater que les nouvelles générations sont devenues ultra-flex : en langage d’aujourd’hui, on dit même slasher. Et que cela pose maintenant des difficultés en entreprise.
Quand la génération F embarque... puis quitte le navire
Loin du cliché de la génération capricieuse et insaisissable, on est face à une cohorte de salariés ayant compris très tôt que les règles du jeu avaient changées, avant même d’avoir passé le bac pour certains. Plutôt que de les subir et de devenir une variable d’ajustement, ils ont choisi d’en tirer profit. Mieux : ils l’ont intégrée jusqu’à en faire un avantage compétitif.
Pendant ce temps, dans la veine de la “flexisécurisation”, les entreprises ont mis l’accent sur la chasse aux talents externes, reléguant au second plan la montée en compétences et l’évolution interne de leurs propres salariés. Chez certaines, cela a pu se traduire par une grille de rémunération totalement anarchique, avec des employés au même poste, mais avec des écarts de salaires abyssaux, uniquement dictés par la date d’embauche. Le message involontairement transmis ? Si vous voulez évoluer, n’attendez pas sagement la promotion interne. Le vrai jackpot est ailleurs. Quitte à revenir en héros… avec un meilleur salaire. Boomerang, vous avez dit ?
La flexibilité, parce qu’elle perturbe les constructions et les perspectives à moyen terme, remet en cause les modèles classiques de développement des RH et de management de la performance. Le schéma habituel de la motivation basé sur les perspectives, la reconnaissance à moyen terme et les parcours réguliers de carrière deviennent inefficients. Les opportunités et la visibilité professionnelle ne sont plus données par l’organisation mais par le marché. Le système de rémunération voit son rôle se renforcer car il devient le seul levier disponible pour agir sur les mécanismes de motivation et d’optimisation. En d’autres termes, les stratégies RH étant désormais organisées autour des logiques de marché, elles s’organisent et s’instrumentent de plus en plus autour des questions de prix et de salaires.
Bernard Roman, Bâtir une stratégie de rémunération, Dunod.
Puis, il y a eu la reprise post-covid et sa valse des CV, la génération F reprenant le large. Panique à bord. Ce grand chambardement a conduit les entreprises à repenser la fidélisation des salariés compétents. La formation coûte cher et la perte de savoirs déstabilise une entreprise. Preuve du changement de management, les logiciels de recrutement ont commencé à développer des fonctionnalités de mobilité interne.
Le facteur âge figurait depuis longtemps dans la gestion des ressources humaines. Cependant, il était principalement utilisé pour gérer et évaluer les évolutions de carrière. Au début des années 1990, avec notamment l’essor d’un marché du travail mondialisé et le poids croissant de la puissance boursière dans la conduite des entreprises, la vision de la ressource humaine se modifie. Le principe d’offrir à la majorité des employés des perspectives d’évolution est remis en question, et une gestion flexible de la main d’œuvre est valorisée. Dans l’entreprise, cette évolution touche principalement les nouveaux entrés sur le marché du travail, et entraine souvent des différences de traitement entre salariés selon leur ancienneté. Cela n’est pas sans impact sur la motivation.
Chantal Morley, Marie-Anne Bia Figueiredo, Emmanuel Baudoin, Aline Salierno Hrascinec. La génération Y dans l'entreprise : mythes et réalités.
Et maintenant ?
Le constat est posé, le problème bien emballé, et les jeunes générations ne sont pas près de prendre leur carte senior. Il va falloir composer et la solution se trouve peut-être même dans les antiques recettes managériales ! Surtout quand on pense gestion des carrières.
Passer de la mobilité au parcours de carrière
On a fini par comprendre qu’offrir des perspectives d’évolution à moyen terme dans l’entreprise évitait la grande évasion des talents de cette génération. Cela suscite même un peu de jalousie à l’extérieur, donc des candidatures.
Les individus de la génération Y ne sont pas à la recherche simplement d’un emploi, mais d’une organisation dans laquelle ils pourront avoir des perspectives de carrières, développer un ensemble de relations sociales et avoir une véritable qualité de vie au travail. [...] La génération Y recherche des perspectives de carrières : ils n’hésitent pas à quitter l’entreprise dès qu’ils ressentent un sentiment de lassitude ou qu’ils ont des opportunités. L’importance de la prise de responsabilités et de la reconnaissance sont privilégiées pour s’assurer de la fidélisation de cette génération.
Brillet, F., Coutelle, P. et Hulin, A. (2012). Quelles trajectoires professionnelles pour la génération Y
Attention, mettre un job board interne en libre-service, ce n’est pas de la gestion des carrières. Jean Pralong, enseignant-chercheur en RH digitales et gestion des carrières à l’EM Normandie, est formel : il y a une sacrée nuance.
Comités carrière, revues de personnel, bilans de carrière, ces outils destinés à repérer les potentiels et à co-construire les parcours se font désormais plus rares. Ils ont été remplacés par une démarche unique : la bourse emploi, ou « job board » interne. Les entreprises y affichent les postes vacants et laissent aux salariés intéressés le soin de postuler.
Jean Pralong
D’un côté, il y a une communication unilatérale et passive. On publie les offres auprès des salariés et on attend de ces derniers qu’ils se manifestent. De l’autre, on a une approche qui exige un peu plus de matière grise : cartographier les compétences, anticiper les besoins futurs et bâtir de vraies trajectoires d’évolution. Ça demande un poil plus d’implication – et accessoirement, d’inclure les RH dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Il s’agit de créer une cohérence entre l’évolution des carrières des salariés et les plans de développement à venir. Les salariés retrouvent du sens, ces missions sont intéressantes pour les managers et les RH, l’entreprise dispose des compétences pour réussir : toutes les parties prenantes y gagnent. Surprise, la gestion des carrières étaient une discipline RH en vogue avant les années 90…
Sujet tabou : la rémunération
Pendant longtemps, parler salaire ouvertement demandait une bonne dose d’audace. Malaise en entretien, gêne au moment de demander une augmentation, manque de visibilité pour le management… Bref, un sujet qu’on abordait en chuchotant. Mais s’il y a bien une chose que les nouvelles générations ont dynamitée, c’est cette omerta autour de l’argent. Aujourd’hui, les offres d’emploi sans salaire affiché sont snobées : selon le site d’emploi Hellowork, 30 % des candidats n’y postulent pas s’il n’est pas indiqué.
Le sujet doit être explicitement abordé lors du recrutement. Il gagne aussi à être transparent tout au long de la carrière du salarié dans l’entreprise. Autant prévenir : sans un travail de mise à plat sur un document par les managers et les Ressources Humaines, cela devient vite impossible à piloter. Gardons en tête que tout finit par se savoir en entreprise. Si les écarts de salaire entre collègues deviennent trop flagrants, l’ambiance tourne vite au vinaigre. Bonjour les tensions à la machine à café et lors des entretiens managériaux.
Le simple fait de centraliser les rémunérations, de les mettre en regard des compétences et des responsabilités de chacun, suffit à alerter les managers sur les incohérences. Résultat : les futures augmentations et les salaires des nouvelles recrues s’intègrent plus logiquement dans l’équation, évitant ainsi les frustrations et les ajustements à la hache.
Cette justesse managériale, c’est justement une revendication des générations X et Y. C’est bénéfique à tous dans l’entreprise, quelles que soient l’année de naissance et la position du salarié.
Pour aller plus loin
- La définition de la flexisécurité selon la Commission Européenne
- Duclos, L. (2009) . La flexicurité et la question des sécurités adéquates. La Revue de l’Ires, n° 63(4), 35-62.
- Brillet, F., Coutelle, P. et Hulin, A. (2012) . Quelles trajectoires professionnelles pour la génération Y ? Management & Prospective, Volume 29(5), 69-88.
- La génération Y dans l’entreprise : mythes et réalités
- Les millennials, portrait d’une génération par l’APEC
- Gestion des carrières : vers un nouveau modèle entre flexibilité et stabilité ? The conversation