Albert Camus disait : “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.” Sans aller jusqu’à la catastrophe existentielle, se planter dans l’intitulé et les compétences d’une offre d’emploi, c’est surtout s’assurer de passer à côté des bons candidats. Pour attirer les talents, le recruteur doit parfois troquer sa casquette de RH contre celle du marketeur.
Le b.a.-ba des moteurs de recherche
Ce n’est pas la partie la plus sexy de l’article, mais un rappel du fonctionnement des moteurs de recherche sur Internet est le bienvenu pour comprendre l’importance des mots-clés.
La sémantique, encore et toujours
Si sur les réseaux sociaux la vidéo est reine, travailler son texte demeure la meilleure stratégie pour être visible dans les résultats de recherche. Que ce soit sur les navigateurs Internet ou sur les sites d’emploi, ils conservent un fonctionnement principalement basé sur les mots-clés pour comprendre le contenu d’une page Web.
Lorsqu’un utilisateur effectue une requête, le moteur de recherche analyse les mots-clés saisis pour saisir l’intention de la recherche. Les moteurs les plus aboutis incluent la reconnaissance des synonymes, des variantes orthographiques et le contexte sémantique. Ils comparent ensuite les mots-clés de la requête de l’internaute avec les contenus qu’ils ont analysés pour trouver les pages les plus pertinentes. On en déduit alors que l’on travaille le contenu par page et non pour tout un site.
Petit exercice pour mieux cerner le fonctionnement ! Ouvrez une nouvelle fenêtre sur votre navigateur et tapez “chaussures rouges femme”. Observez les résultats de la première page de résultats. Ce n’est pas la page d’accueil des sites commerçants qui apparait, mais bien les pages de détail produit ou les catégories spécifiques aux chaussures rouges de ces sites. C’est pour cela qu’il est important d’affiner l’intitulé et le contenu de chacune des offres d’emploi. En comprenant ce principe, il est possible de faire une stratégie de test en lançant plusieurs offres d’emploi avec des variantes d’intitulé et de contenu. Vous allez ainsi couvrir toutes les déclinaisons de recherche de vos candidats. En marketing, on appelle cela de l’A/B testing.
Et maintenant, vous vous posez certainement la question “Mais pourquoi versionner ses offres si les moteurs déduisent les synonymes et les déclinaisons ?”.
Avoir conscience des limites des moteurs
Les moteurs de recherche Internet, comme Google, ont des algorithmes très avancés, ce qui leur permet de détecter les synonymes et de suggérer des contenus pertinents, même s’ils ne correspondent pas sémantiquement à 100 % à la recherche de l’internaute.
Ce n’est pas forcément le cas des moteurs de recherche inclus sur les job boards et les sites d’annonces. Ils peinent à reconnaître les synonymes et les variantes orthographiques. Ces sites sont cependant les outils prioritairement utilisés par les candidats pour leur recherche d’emploi. Prenons l’exemple de deux recherches qui concernent in fine un même emploi. Nous voyons que le nombre d’offres n’est pas le même dans les résultats :


Si le candidat n’a pas conscience de ce fonctionnement, il ne fera pas ces différentes recherches. Et s’il y pense, encore faut-il qu’il recherche toutes les variantes possibles pour un même poste. Certaines offres se retrouvent alors dans les oubliettes.
On pourrait penser qu’avec l’adoption croissante des nouvelles technologies, les chercheurs d’emploi sont aujourd’hui aguerris. Ce n’est pas le cas. Et pour bien enfoncer le clou, une étude menée par Jean Pralong a démontré que les nouvelles générations étaient tout autant concernées que leurs ainés par cette difficulté. Même les digital natives ne sont pas des experts du recrutement en ligne. Beaucoup d’entre eux postulent en mode automatique, en fonction des offres qui leur sont poussées.
Un candidat qui reçoit des offres sélectionnées pour lui, identifié par le moteur de recherche d’une CVthèque ou dont le profil a « matché » avec les besoins d’une entreprise, n’a guère les moyens de savoir quel algorithme ou quelles logiques sont à l’origine de ces opportunités. Les pratiques de « chasse » traditionnelles ou algorithmiques sur les réseaux sociaux placent les candidats dans une posture d’attente : leur profil sera-t-il vu ? Provoquera-t-il l’intérêt d’un recruteur ? Sera-t-il correctement identifié par un algorithme ? [...] La recherche d’emploi des jeunes interrogés pourrait être résumée comme une routine en deux étapes : prendre connaissance des offres fournies automatiquement par les abonnements, puis, d’un clic, répondre avec le CV et la lettre de motivation types. Comment les offres qui leur parviennent sont-elles sélectionnées ? Que deviennent leurs CV après qu’ils les ont envoyés ? La réflexion des jeunes interrogés est limitée, comme s’ils n’avaient aucune représentation sur le recrutement, ses acteurs ou ses méthodes.
Jean Pralong, Du mauvais côté de l’algorithme : pourquoi les digital natives ne sont pas tous égaux face aux plateformes de recrutement
C’est donc au recruteur de travailler le contenu de son offre pour en maximiser la visibilité auprès du plus grand nombre de candidats qualifiés.
Trouver l'intitulé pertinent et percutant
Un bon intitulé d’offre d’emploi
- est visible sur les requêtes des candidats ciblés ;
- une catégorisation Impeccable sur les sites d’emploi, sinon c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
- est explicite pour que le candidat se sente concerné et ait envie de cliquer (comme l’objet d’un bon email marketing).
Tout l’enjeu est de savoir qui on cible, d’anticiper ses actions de recherche d’emploi, d’être présent sur les canaux qu’il utilise avec un message qui fait mouche. Si on applique notre analogie aux sites e-commerce, il est préférable d’être visible sur “pull rouge femme” que sur “chandail rouge femme”. Dans la même veine, les intitulés de poste qui se voulaient un peu cool dans les années 2010 (Codeur ninja, Chief magic officer) ne l’étaient plus du tout quand on avait des difficultés à trouver des candidats. Je force le trait, mais vous saisissez l’idée.
Autre erreur fatale : le jargon interne. Ce qui vous semble évident dans votre entreprise peut être du chinois pour un candidat. Vérifiez toujours si le terme est compris en dehors de vos murs.
Même piège avec les intitulés flous. Prenons un cas pratique avec cette offre trouvée sur l’APEC :
Selon vous, quel est le profil ciblé ? Un profil tech gérant la création de sites internet en agence de marketing ? Un responsable du canal de commercialisation web d’un commerçant ? Un profil marketing pour attirer des visiteurs sur le site ? Mystère…
En bref : un intitulé mal fichu, c’est une offre qui passe inaperçue. Alors autant le peaufiner dès le départ. Une fois que l’on a pris conscience de cela, comment trouver les bons termes pour optimiser son offre d’emploi ?
Des outils gratuits et des astuces pour trouver les mots-clés
Le brainstorming : la chasse aux bons intitulés
Trouver les bons mots-clés, c’est un peu comme traquer une espèce rare : ça demande méthode et ruse. Pas question de se contenter d’intuitions vagues ou de copier-coller des intitulés obsolètes.
Voici comment affûter votre recherche :
- Retour aux sources : scrutez vos fiches de postes passées et actuelles.
- Décryptage des CV : plongez dans les candidatures pertinentes reçues lors des précédents recrutements et notez le vocabulaire récurrent.
- Espionnage professionnel : identifiez les profils stars sur LinkedIn ou dans les CVthèques (APEC, Pôle Emploi) et observez comment ils décrivent leurs expériences.
- Analyse concurrentielle : examinez les intitulés des talents chez vos concurrents. Spoiler : votre concurrent en recrutement n’est pas toujours votre concurrent commercial. Un éditeur de logiciel RH et un éditeur de logiciel logistique chassent peut-être dans les mêmes contrées tech.
L'IA à la rescousse
Vous hésitez entre plusieurs intitulés ? Vous n’êtes pas sûr.e des nuances entre eux ou de leur pertinence pour votre entreprise ? L’IA, comme Mistral AI, peut vous éviter les fausses pistes.
Commencez large. Un prompt trop ciblé dès le départ vous privera d’angles intéressants et vous enfermera dans une vision réductrice.
Voici un exemple pour un chef de projet informatique (consultable directement dans Le Chat de Mistral ici pour voir les réponses de l’IA).
Offre d'emploi pour un chef de projet informatique. Quel intitulé de poste utiliser ? Product owner, chef de projet digital, chef de projet informatique, autre mot-clé ?
D’abord, Mistral AI décrypte les subtilités de chaque intitulé. Ce qui peut sembler interchangeable pour un Talent Acquisition Manager ne l’est pas pour les talents que vous visez. Ensuite, l’IA vous demandera des précisions pour coller au contexte spécifique de votre entreprise. Pour continuer sur l’exemple du chef de projet informatique, nous pouvons indiquer :
Lequel de ces intitulés correspond le mieux à ce contexte ?
Entreprise : éditeur de logiciel SIRH. L'entreprise est une startup en levée de fonds. Il y a 20 salariés, dont 5 développeurs dans l'équipe technique et 1 chef de projet dans l'équipe Produit.
Contexte du poste : logiciel en mode SaaS. La méthode de projet utilisée par l'équipe est SCRUM. Les outils utilisés à ce poste sont JIRA, Product Board, Figma.
Une fois votre shortlist d’intitulés établie, il est temps de tester leur efficacité. Internet regorge d’outils pour mesurer leur pertinence en fonction des tendances et des recherches des candidats.
Évaluer la pertinence de l’intitulé : buzzword ou mot-clé en perdition ?
Les intitulés retenus sont-ils réellement recherchés ? Les intitulés que vous avez repérés sont-ils des valeurs sûres ou déjà en voie d’extinction ? Un nouveau jargon est-il en train de les remplacer ?

Google Trends est votre boussole. Il permet de voir si un intitulé grimpe en popularité ou tombe aux oubliettes. Vous pouvez comparer deux termes : dans notre exemple, on constate que “chef de projet informatique” est sur la pente descendante. Attention à ne pas vous faire berner par le graphique : il indique un indice (base 100), pas un volume absolu. Le pic à 100 représente le jour où il y a eu le plus de recherche sur la période observée. Un pic à 50 signifie qu’il y a eu deux fois moins de recherches que ce jour de référence. Voici ce que Google Trends vous permet de faire :
- Visualisation des tendances : détectez les pics de popularité et les périodes de forte recherche.
- Comparaison d’intitulés : identifiez le terme gagnant du match lexical.
- Données géographiques : repérez où votre mot-clé cartonne et où il est inconnu au bataillon.

Besoin de chiffres concrets sur le volume de recherches mensuelles ? Testez Ubersuggest avec trois recherches de mots-clés gratuites par jour. Et si vous avez une équipe marketing, c’est le moment de passer dans leur bureau car s’ils font des campagnes Google Ads, ce dernier propose un outil keyword planner ultra-précis, sans restriction. Vos collègues pourront vous le prêter !

Avec tout cela, vous avez trouvé votre Graal, l’intitulé de poste idéal ? S’il s’agit d’un profil cadre, l’outil en ligne de l’APEC peut vous estimer la concurrence et de candidats sur votre bassin d’emploi.
Fin du mythe : le SEO du site carrière
En optimisant son offre, se retrouvera-t-on en haut des résultats de recherche Google ? Référencer une page d’offre de son site carrière sur Google pour attirer des candidats, c’est une belle idée en théorie, mais une utopie en pratique. Votre annonce “Product owner Bordeaux”’ n’aura jamais la vedette sur la première page, et voici pourquoi.
Google n’est pas votre ami, il veut juste maximiser ses clics
Le but ultime de Google ? Devenir le moteur de recherche incontournable. Et comment y arrive-t-il ? En affichant les résultats les plus pertinents dès la première page. L’outil est gratuit, alors est-ce par pure philanthropie ? Bien sûr que non. Plus d’utilisateurs signifie plus de clics potentiels sur les liens sponsorisés, et chaque clic, c’est de l’argent qui rentre dans les caisses via le fameux Google Ads évoqué précédemment.
Google a une trouille bleue : que l’utilisateur soit déçu et aille voir ailleurs. Sa mission : lui donner satisfaction en un clic. Et quoi de mieux qu’un jobboard pour un candidat ? Un seul site et une multitude d’offres. En première page, Google privilégiera donc les mastodontes comme Indeed ou Welcome to the Jungle plutôt que votre site carrière avec une annonce unique.
Google for Jobs : l’arbitre et le joueur

Et pour achever les sites carrière Et les jobboards, Google a lancé son propre moteur de recherche d’emploi : Google for Jobs. Outil qu’il place évidemment bien avantageusement en haut de la première page. Un bon moyen d’évincer les autres joueurs et de garder la main sur le trafic.
Regardons de plus près les résultats de recherche pour une annonce donnée :
- Les jobboards trustent la première page.
- Google for Jobs s’impose en haut du podium.
- Un site carrière ? Il faut aller en page 4 pour le trouver.
Le jeu est plié.
Un autre obstacle : la durée de vie des offres
Sauf si recrutez en continu sur un même poste, les offres d’emploi sont souvent supprimées fréquemment sur votre site carrière. Google peut avoir du mal à indexer ces changements rapidement, ce qui affecte le classement des offres. Le jobboard, lui, a continuellement des offres d’emploi qui alimentent les catégories d’offres d’emploi. Elles restent donc en ligne, et ce sont d’ailleurs elles que l’on retrouve dans les résultats de recherche, et non le détail d’une offre donnée.
Contenu dupliqué : le coup de grâce
Pas encore convaincu ? Voici un dernier argument. Google déteste les copiés-collés. Or votre annonce se trouve surement sur votre site carrière et sur de nombreux autres jobboards. Rien ne sert à Google de montrer 3 fois le même contenu à l’internaute dans la première page. Souvenez-vous : il doit maximiser ses chances de proposer le bon résultat dès la première page. Il a donc plus à gagner en y diversifiant les sources.
Pour aller plus loin
- Les mentions obligatoires à faire apparaitre dans une offre d’emploi, car être si être visible est la panacée, être dans les clous est non discutable.
- L’analyseur d’À Compétence Égale est un outil d’analyse sémantique gratuit qui permet d’optimiser vos offres d’emploi pour vous garantir un spectre de candidat-e-s large et diversifié en respectant les principes d’égalité.
- L’étude de Jean Pralong : “Du mauvais côté de l’algorithme : pourquoi les digital natives ne sont pas tous égaux face aux plateformes de recrutement”